Carburants et agriculture : Quelles options ? 
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Carburants et agriculture : Quelles options ? 

23 novembre 2023

Les carburants dans l’agriculture : Quelles options ? 

Fin 2023 le gouvernement a annoncé sa volonté de supprimer d’ici 2030 les avantages fiscaux liés à la consommation de GNR (Gazole Non Routier), principal carburant utilisé par le secteur agricole. Ces avantages, considérés comme une « niche brune » devraient évoluer afin de répondre aux objectifs de la stratégie nationale bas carbone soit, une diminution de 18% des émissions de GES (Gaz à Effet de Serre) du secteur agricole entre 2015 ET 2030 et de 46% entre 2015 et 2050(1).  Ce choix a contribué à alimenter les récentes manifestations d’un grand nombre d’agriculteurs sur leurs conditions de travail. La question se pose donc du choix des carburants dans l’agriculture de demain. Cet article vise à brosser un portrait succinct des solutions existantes dans le domaine des biocarburants en évaluant leurs avantages et leurs limites. 

Quelques rappels en chiffres :

En 2019, le secteur de l’agriculture était responsable de 19% des émissions de GES (teq CO2) de la France, suivi de près par le secteur résidentiel et l’industrie, chacun émettant respectivement 18% (2). La majeure partie des émissions de GES de l’agriculture provient de l’utilisation d’intrants azotés de synthèse et l’émission de NOx avec un pouvoir de réchauffement élevé. Des changements de pratiques favorisant la réduction de l’utilisation d’engrais de synthèse, un bouclage des flux biogéochimiques et un meilleur stockage du carbone sont, entreautre, autant de leviers qui permettront de diminuer l’empreinte du secteur. Un autre levier concerne le recours aux carburants fossiles. Ces derniers sont responsables d’environ 5% des émissions de GES du secteur agricole. S’orienter vers l’utilisation de biocarburants ou de motorisations électriques pourrait donc participer à diminuer les émissions de GES de l’agriculture (3) 

Les biocarburants : 

Un biocarburant est un carburant de substitution au pétrole et obtenu à parti de biomasse renouvelable (végétale, animale, biodéchets). 

Selon la législation, un biocarburant doit générer à minima 50% de GES en moins que son homologue pétrosourcé. (4)

Substituants du Gazole : 

Les 1ers biocarburants disponibles sont des substituants du gazole, pour les engins agricoles. On parle généralement de biodiesel : 

👉Les EMAG : Esters Méthyliques d’Acide Gras  
Ils peuvent être obtenus à partir de graisse végétale ou animale. (Colza, tournesol, soja, palmier à huile, biodéchet). Ils sont actuellement incorporés à hauteur de 7% (B7) pour les véhicules particuliers roulants au diesel et sont compatibles pour les engins agricoles. Ils peuvent cependant altérer les performances du moteur et du système d’injection (5). D’autres type de Biodiesels sont également disponibles type B30 ou B100, comportant 100% de biodiesel, mais sont uniquement compatibles avec les motorisations récentes ou adaptées spécifiquement. 

👉Les HVO :Hydrotreated Vegetable Oils (Huiles Végétales Hydrogénées) Résultant d’un procédé d’hydrogénation des huiles végétales, le biodiesel HVO dispose de propriétés similaires à du gazole fossile et est même plus performant. Il comporte peu de résidus de souffre et n’altère pas les moteurs compatibles. Il est actuellement plutôt utilisé sur des flottes de poids lourds. 

👉Les xTL (BtL, PtL, GtL):  Biomass to Liquid, Power to Liquid ou Gaz to Liquid Ces carburants sont issus de biomasse. Cette dernière peut être traitée de différentes manière : liquéfaction catalytique, gazéification, procédé Fischer-Tropsch de manière à obtenir un carburant liquide proche du diesel.(6) L’un des produits sur le marché PUR-XTL comprend 100% de carburant de synthèse. Les performances sont très proches d’un diesel fossile mais avec une réduction d’émission de CO2 jusqu’à 90% et une réduction des particules fine jusqu’à 33%.(7)

👉Les E-fuels :
Les E-fuels: Aussi appelés électrocarburants, ce sont des carburants de synthèse. Ils sont obtenus par recombinaison du monoxyde de carbone (CO) avec de l’hydrogène (H2). Le monoxyde de carbone est obtenu via les rejets de CO2 tandis que l’hydrogène est obtenu par électrolyse de l’eau.  Pour que l’empreinte carbone de ces carburants soit réduite par rapport à un gazole fossile, il faut que l’hydrogène soit obtenu par une électrolyse à base d’électricité renouvelable ou nucléaire. Dans ces conditions, il serait possible d’atteindre une réduction de 90% des émissions de GES comparé à une source fossile(8). Ce secteur des E-fuel est en plein développement. La réglementation européenne encadrant sa commercialisation sera uniquement opérationnelle entre 2030 et 2035(9) et les constructeurs mettent aujourd’hui leurs moteurs à l’épreuve sur ces carburants afin d’évaluer le parc compatible (10). 

Motorisation au gaz renouvelable :  

👉 Méthane/Biométhane (GNC/BioGNC):  

Le méthane, gaz source d’énergie peut être issue de différentes origines. S’il est puisé dans des poches de gaz souterraines, il s’agit de méthane fossile, communément appelé gaz naturel. S’il est produit par voie biologique (fermentation), on parlera alors de biométhane. La production de biométhane est un secteur en plein développement avec l’essor de la méthanisation. L’utilisation de biogaz comprimé GNC (Gaz Naturel Compressé) demande une motorisation adaptée, peu de constructeurs proposent actuellement des engins roulant au biométhane, New-Holland est l’un des 1er. La motorisation au biométhane offre des performances très proches d’une motorisation au gazole. Les derniers modèles ont une autonomie assez proche avec la contrainte de stockage du gaz sur le tracteur (sur l’avant) qui peut présenter des inconvénients. La combustion du biométhane émets du CO2 et de l’eau sans particules fines ou autres dérivés. Si le gaz utilisé est du méthane fossile, les émissions de GES qui en découle sont légèrement plus faible qu’avec du gazole. En revanche, s’il sagit de biométhane, le bilan global des émissions est 80% inférieur comparé au gaz naturel. En fonction du mode de production du biométhane, certains calculs estiment même des émissions négatives (Figure 2) dans certain cas, notamment s’il s’agit de méthanisation d’effluents d’élevage. En effet leur méthanisation permet d’éviter des émissions de méthane classiquement observées durant le stockage (aussi appelées émissions fugitives). 

👉 Bio GNL (Gaz Naturel Liquéfié) : 

Il s’agit ici de biométhane liquéfié. L’usage est le même que pour du gaz compressé, mais le stockage est plus avantageux en liquide car il permet plus d’autonomie. Il nécessite cependant un seuil de consommation important et un système de cryogénie avant remplissage pour le passage en liquide. Ce carburant existe aujourd’hui pour certaines flottes de poids lourds. L’évolution des technologies devrait permettre de proposer des tracteurs équipés de ce système entre 2025 et 2030. 

👉 Hydrogène : 

Dans le domaine agricole il existe encore très peu de modèles fonctionnants à l’hydrogène. Des constructeurs comme New Holland ou Fendt proposent aujourd’hui des prototypes. Ils fonctionnent selon le principe d’une pile à combustible. L’hydrogène, stocké sur l’engin dans des bonbonnes à 350bar, est décomposé dans la pile à combustible pour réagir avec du dioxygène et former de l’eau. Cette réaction entraîne un mouvement d’électron qui génère un courant et ainsi de l’énergie pour le véhicule. Les technologies existantes sont principalement limitées par la performance des piles, le volume de stockage nécessaire de l’hydrogène et le poids des équipements. A titre indicatif, le prototype de New Holland développe 110 cv pour une autonomie de 2h. Sur ce point, l’hydrogène semble plus prometteur et adapté pour des engins de puissance relative comme les petites machines autonomes, engins viticoles, chenillards, engins de manutention, etc.. Concernant les émissions de GES, le fonctionnement d’un moteur à hydrogène n’émet que de l’eau. Son impact en termes de GES réside dans la production d’hydrogène et des matériaux de la pile à combustible. Un hydrogène issu de l’industrie pétrolière sera bien moins intéressant qu’un hydrogène dit « vert » produit à partir d’une source d’énergie renouvelable ou nucléaire. 

Motorisation électrique :  

Nous sortons ici du cas de figure des biocarburants. Pour autant la motorisation électrique présente l’avantage de n’émettre aucun gaz à l’utilisation. Son empreinte carbone réside uniquement dans la production des batteries et des véhicules. 

 Les motorisations électriques sur les engins lourds et développant beaucoup de puissance tels que les engins agricoles souffrent des problèmes similaires à la filière hydrogène. Les technologies actuelles permettent de produire l’énergie suffisante mais pour un poids de batterie bien trop important qui entrainerait un tassement des sols en plus de fournir une faible autonomie. Comme pour l’hydrogène, la motorisation électrique reste plus intéressante sur des engins de moindre puissance tels que les robots agricoles, chenillards, petits engins de manutention etc.. Le couplage d’une motorisation alternative avec des outils électriques est également une excellente opportunité. 

Des essais effectués sur la ferme expérimentale Terrasolis couplant motorisation au biogaz pour travail avec une épareuse électrique ont été plutôt prometteurs. (Voir article) 

CONCLUSION :

Il existe diverses alternatives aux motorisations GNR qui prendront de l’ampleur dans les années à venir. Leur utilisation dépendra des besoins sur les exploitations et de la volonté de chacun de changer ses habitudes de travail.  

A court terme, le recours au biodiesel semble intéressant, sous réserve du prix à la vente. Ce dernier ne demande pas de changer de motorisation, permet la même autonomie et réduit les émissions de GES.  

Des carburants plus sophistiqués tels que Xtl peuvent également être plébiscités dus à leurs performances, mais leur prix peut être prohibitif.  

Le passage au biométhane demande un changement de modèle et une station de biométhane proche pour l’approvisionnement. Ce modèle énergétique peut être intéressant pour les agriculteurs méthaniseurs ou ayant un méthaniseur dans un secteur proche. Ce type de motorisation réduit grandement les émissions de GES et permet un travail quasi identique en comparaison avec une motorisation au gazole 

Pour les motorisations à hydrogène et électrique, bien que prometteuses, elles ne sont pas actuellement au point pour les gros travaux. Pour autant elles peuvent être intéressantes pour des tâches spécifiques, voir automatisées. Le recours à ces motorisations a cela d’intéressant qu’elles permettent de revoir la façon de travailler sur une exploitation étant donné leur autonomie réduite et les faibles puissances développées. Leurs faibles émissions de GES sont un gros atout. 

N’oublions pas non plus que certaines pratiques sur les motorisations actuelles permettent déjà de réaliser des économies d’énergie. Une étude réalisée conjointement par la DREAL et chambre d’agriculture de Normandie (11) montre notamment qu’une écoconduite avec un tracteur régulièrement révisé sur un banc d’essai moteur permet des économies d’énergie substantielles pouvant atteindre 30%.  

Michel Vallance, l’un des auteurs du rapport « décarboner 100% de l’énergie utilisée en agriculture à l’horizon 2050 : c’est possible ! » publié en 2022 nous confiait ses impressions sur le sujet de la gestion de l’énergie sur les exploitations agricoles lors du Terrasolis meeting 2023 : 

 

Rédaction :

nicolas.poupard@terrasolis.fr

Sources :

[1] https://agriculture.gouv.fr/dispositifs-de-decarbonation-de-lagriculture-leviers-et-perspectives-analyse-ndeg196

[2] https://www.notre-environnement.gouv.fr/themes/climat/les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-et-l-empreinte-carbone-ressources/article/les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-de-l-agriculture

[3] Moyenne 2008-2013, étude Climagri figurant dans le rapport 2019 de l’ADEME -L’empreinte énergétique et carbone de l’alimentation en France, ADEME, janvier 2019-« 

[4]https://www.ecologie.gouv.fr/biocarburants#:~:text=Les%20biocarburants%20sont%20des%20carburants,les%20carburants%20d’origine%20fossile.

[5] https://ecogas.fr/nos-conseils/contraintes-techniques-biocarburants/

[6]King et al Overview of Feed to liquid (XTL) conversion. Synthetic Liquids Production and Refining. ACS 2011

[7] https://www.francepoidslourds.fr/wp-content/uploads/2021/05/Dossier-de-presse-XTL.pdf

[8] https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/enjeux-et-prospective/decryptages/energies-renouvelables/biocarburants-et-e-fuels-des-carburants-renouvelables-davenir

[9] https://www.evolen.org/wp-content/uploads/2023/03/15-03-2023-EVOLEN-Note-de-synthese-sur-les-e-fuels.pdf

[10] https://www.stellantis.com/fr/actualite/communiques-de-presse/2023/avril/stellantis-finalise-ses-tests-efuel-realises-sur-28-familles-de-moteurs-afin-de-soutenir-la-decarbonation-de-sa-flotte-de-vehicules-thermiques-en-circulation

[11] https://normandie.chambres-agriculture.fr/fileadmin/user_upload/Normandie/506_Fichiers-communs/PDF/ENVIRONNEMENT/TERR_AIR_f1-engins_agricoles_fd.pdf

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